Une expression qui sonne comme une mélodie
Imaginez-vous dans une conversation animée où quelqu'un vous lance : "Il pleut à tire-larigot !" ou "Elle parle à tire-larigot !". Cette expression colorée, qui danse sur la langue comme une mélodie oubliée, évoque immédiatement l'idée d'abondance, d'excès, de quelque chose qui ne s'arrête jamais. Dans son sens moderne, l'expression « à tire-larigot » est synonyme de « beaucoup », « en abondance ». Elle décrit une grande quantité – voire une trop grande quantité – ou un flux continu et inarrêtable de quelque chose.
Mais d'où vient cette sonorité si particulière qui fait que nos oreilles se dressent dès qu'on l'entend ? Plongeons ensemble dans l'histoire fascinante de cette locution qui traverse les siècles avec une élégance toute française.
Aux origines du "larigot" : une histoire de flûte et de soif
Au XVe siècle, lorsque l'expression naît dans la langue de Molière, le verbe « tirer » est employé au sens de « boire » ou « vider un contenant de son liquide », tout comme on parle aujourd'hui de « descendre » ou de « siffler » une bouteille. Mais que désigne donc ce mystérieux "larigot" ?
Le « larigot », quant à lui – que l'on nomme d'abord « harigot » puis « arigot » – est un instrument de musique ; une sorte de petite flûte pastorale. Le TLFi atteste que le mot "Larigot" date de 1403. Il est extrait d'un refrain que l'on trouve dans " Le dit de la Pastoure" de Christine de Pisan : "Larigot va Larigot, Mari, tu ne m'aimes mie"
L'association entre musique et boisson n'est pas fortuite dans la langue populaire de l'époque. Dans la langue populaire, le verbe « flûter » est, lui aussi, synonyme de « boire ». Ainsi naît cette expression savoureuse qui unit l'art musical à l'art de boire, créant une métaphore poétique pour décrire l'abondance.
Une légende rouennaise qui fait résonner les cloches
L'histoire nous offre une seconde piste, tout aussi savoureuse. Une autre hypothèse courante veut que l'expression soit née à Rouen, où une cloche de la cathédrale fut nommée « La Rigaud » en référence à l'archevêque Eudes Rigaud, qui l'offrit à la ville.
Cette cloche avait une réputation particulière dans la cité normande. Cette cloche avait la réputation d'être particulièrement lourde à tirer : on raconte que douze hommes devaient s'associer pour la faire sonner ! Et voici où l'histoire devient délicieusement française : selon l'anecdote, les sonneurs buvaient ensemble avant de « tirer La Rigaud », afin de se donner du courage.
Cette tradition nous rappelle d'ailleurs l'expression "boire comme un sonneur", témoignage de cette époque où les métiers les plus nobles s'accompagnaient de rituels bien arrosés.
L'évolution d'une expression : de la taverne au quotidien
Ainsi, l'expression « à tire-larigot » est, dans un premier temps, indissociable de l'action de boire de l'alcool. Elle signifie généralement « boire d'un seul coup, sans arrêt », dans un sens proche de la formule « boire cul sec » que l'on emploie aujourd'hui.
Mais comme toute expression vivante, "à tire-larigot" a su évoluer avec son époque. Au fil des siècles, l'expression « à tire-larigot » s'est défaite de son association avec l'alcool et la boisson. Elle s'emploie aujourd'hui pour désigner tout élément que l'on trouve en quantité abondante, excessive, ou en flot continu.
Aujourd'hui, on peut dire sans rougir : "Les voitures passent à tire-larigot dans cette rue", "Il neige à tire-larigot", ou encore "Elle collectionne les romans policiers à tire-larigot". L'expression a gagné en polyvalence ce qu'elle a perdu en spécificité alcoolisée !
Des exemples qui donnent soif... de mots !
La littérature française nous offre de magnifiques exemples de cette expression en action. Alexandre Jardin, dans "Le Zèbre", nous peint cette scène amusante où des mains de bois "battent à tire-larigot pour acclamer les comédiens au théâtre".
Jean Giono, maître de la langue française, l'utilise dans "L'Iris de Suse" pour décrire un personnage qui "refusait surtout l'essentiel et à tire-larigot", montrant comme l'expression peut s'adapter à des contextes variés, loin de ses origines festives.
Plus contemporain, on pourrait dire : "Depuis qu'il a découvert les séries coréennes, il les regarde à tire-larigot !" ou "Avec ce temps pluvieux, les parapluies se vendent à tire-larigot dans cette boutique."
Une expression qui ne vieillit jamais
À tire-larigot" illustre parfaitement la capacité de notre langue à conserver ses trésors tout en les adaptant aux réalités contemporaines. Cette expression, née dans les tavernes médiévales au son des flûtes pastorales, continue de résonner dans nos conversations modernes avec la même force évocatrice.
De registre familier, « à tire-larigot » est une expression voisine des locutions « à gogo », « à la pelle », ou encore de l'adverbe « plein ». Elle enrichit notre palette linguistique d'une couleur particulière, celle de l'abondance joyeuse et de l'excès assumé.
La prochaine fois que vous entendrez quelqu'un utiliser cette expression, vous pourrez sourire en pensant à ces musiciens d'autrefois, à ces sonneurs de cloches, et à cette magnifique alchimie qui transforme les mots du passé en pépites du présent. Car après tout, les belles expressions françaises, on ne s'en lasse jamais... à tire-larigot !"